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Rimini Protokoll et le théâtre post-démocratique

Updated: Jan 28, 2019

#dramaturgie # post-démocratie


A.2.4 Masterclass: Dramaturgies of Post-Democracy in Rimini Protokoll’s State 1-4

Présidente : Bérénice Hamidi-Kim, Université Lyon 2 (France)

Intervenant : Immanuel Schipper, dramaturg (Allemagne)


E.3.7 Du local au global / Stretching the Local to the Global

Présidente : Gabrielle Girot, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 (France)

Intervenant : Anna Maria Cascetta, Universite Catholique de Milan (Italie) : Identity and Global Prospects of the European Culture : The Theatre Research of Rimini Protokoll


Est-ce qu’on habite aujourd’hui dans une « post-démocratie » et, si oui, quels sont les enjeux pour que le théâtre reflète cette réalité socio-politique ?


La « post-démocratie »


Le terme « post-démocratie » a été introduit par des théoriciens tels que Colin Crouch[1] et Jacques Rancière[2] pour décrire une société où toutes les structures démocratiques sont formellement en place, mais une élite minoritaire manipule le système à son avantage, surtout financière, à l’instar du système feudal qui existait avant l’avènement de la démocratie contemporaine. Dans cette « post-démocratie », il existe plusieurs partis politiques, mais en dépit de leurs étiquettes diverses, ils sont tous fondés sur les mêmes préceptes de néo-libéralisme qui sont devenus hégémoniques autour du monde depuis le déclenchement du modèle néolibéral du capitalisme dans les années 1970.[3]


Ce terme est déployé fréquemment aujourd’hui pour discuter de la « crise de la démocratie », expression générique pour capter les fissures diverses qui s'accroissent dans le tissu du système politique, notamment exemplifiée par les électeurs manifestant pour exprimer leur malaise avec le système politique qui s’avère mal adapté pour répondre de manière efficace aux changements sociaux liés à la mondialisation.[4] Pourtant, malgré le mécontentement apparent, un système cohérent pour replacer le cadre existant de la démocratie ne s’est pas encore concrétisé, laissant une lacune propice à l'innovation artistique.


La dramaturgie « post-démocratique »


Dans cette ère post-démocratique, quel rôle occupent les artistes de théâtre ? La réponse proposée par le collectif Rimini Protokoll consiste à déployer la scène comme lieu d’expérimentation pour interroger et contourner les règles du pouvoir, voire « l’Apparatus » pour reprendre le mot de Giorgio Agamben (exploré par Thomas Bellinck dans son discours d’ouverture de cette conférence)[5]. Avec leur série State 1-4, Rimini Protokoll explore le contrôle de l'état de l'Apparatus de l'Etat et les trous qui existent dans ces structures ; quels sont les enjeux politiques qui se jouent dans l'ombre, dans ces domaines où l’influence de l’Etat est affaiblie?[6] Une question centrale dans le dispositif : les entités étatiques existent-elles réellement pour protéger les citoyens ou est-ce plutôt que les citoyens ont besoin de se protéger de celles-ci ?[7]


State 1-4 crée un monde immersif dans un musée qui relie le monde fictionnel et réel, facilitant la communication et l’échange entre les spectateurs-visiteurs. Les visiteurs choisissent leur chemin en fonction des réponses aux questions posées au moyen de casques. Alors les visiteurs exercent un dégré de contrôle sur l'expérience du spectacle, ce qui les induit à examiner non seulement le fonctionnement et le contrôle de l’Etat mais également leurs propres codes d’éthiques individuels [8]. Où commence l’Etat et où commence l’individuel ou sont les deux tellement intrinsèquement liés de sorte qu’on ne peut plus distinguer l’un de l’autre ?


Le danger des binarismes


Pendant l’atelier pratique dirigé par Immanuel Schipper, il nous a invité à nous diviser en deux groupes, face à face, sur le plateau. Puis, il nous a posé les questions, et nous a invité à nous déplacer dans l’espace en fonction de nos réponses à ces questions : si on était fortement d’accord, on pourrait croiser de l’autre côté de la scène ; si on était à moitié certain, on pourrait avancer au milieu, et cetera.


D’abord, il a commencé avec les questions avec une réponse plutôt oui/non : Avez-vous moins de trente ans ? Etes-vous nés en France ? Ensuite, les questions sont devenues plus nuancées : Crois-tu que la torture est bien ? Evidemment, presque tout le monde s’est positionné contre cette déclaration. Puis, la fidélité à ce principe a été mise à l’épreuve : Si ton enfant était porté disparu et le recours à la torture était le seul moyen pour le retrouver, seriez-vous d’accord pour l’employer ? Là, certains parmi ceux qui s’avéraient contre la torture ont changé leur position pour refléter qu’ils étaient en effet, en faveur de la torture dans ces circonstances-là. Ce qui a montré clairement à quel point les valeurs soi-disant « éthiques » sont fragiles. Nos valeurs à nous ne sont pas fiables, et par conséquent, on ne peut pas compter sur nous-même. Encore une fois pendant cette conférence, j’ai pensé au concept de « l’angle mort » énoncé par Slavoj Zizek[9] et référencé par Bellinck dans son discours introductif.


La spatialisation pendant l'atelier reflétait visiblement l’évolution des réponses depuis questions binaires aux questions beaucoup plus difficiles ; au fur et à mesure, la confiance du public cédait à l’hésitation, les gens se rassemblaient plutôt dans le milieu des deux côtés de la scène que dans une des deux lignes.


La conclusion ? Finalement, les questions binaires sont dangereuses, car trop simplifiées ; il semble que la seule certitude, c’est l’incertitude, et on doit se méfier de la présentation des catégorisations trop étroites.


L’Autre en soi


Si j’ai étais perturbée par la révélation de la fragilité des valeurs humaines, j’ai été très passionnée par les possibilités ouvertes par cette forme de théâtre pour mettre à lumière les nuances entre la réalité et la fiction, ainsi que les altérités cachées qui existent en nous. Comment peut-on juger « l’Autre » si on ne se connaît pas soi-même ? En ce qui concerne l’Etat, qui est l’Etat et quel est notre rôle en son sein ? Qui contrôle qui ? Le style immersif de théâtre entre la frontière de la réalité et de la fiction met le spectateur au cœur du processus, créant ainsi une expérience authentique qui permet une réflexion approfondie sur le comportement humain et sociétal, éveillant une conscience politique plus critique. Un style bien adapté à cette ère post-démocratique, qui demande un rééquilibrage des valeurs présumées jusqu’à récemment immuables.

[1] Colin Crouch, Post-democracy, Polity Press, Cambridge, 2004.


[2] Jacques Rancière, La mésentente : Politique et philosophie, Editions Galilée, 1995.


[3] Voir Yves Sintomer, « Les futurs de la démocratie au xxie siècle », Raison publique, vol. 20, no. 1, 2016, p. 175-191.


[4] Ibid.


[5] https://www.observatoirecritique.fr/publications/speculative-documentary-europe-in-exile-as-imagined-by-thomas-bellinck


[6] Programme, Staat 1-4, accessible à l’URL : https://www.hkw.de/media/en/texte/pdf/2018_1/programm_2018/staat_1_4_programmflyer.pdf.


[7] Ibid.


[8] Voir Jess Harrison, “Rimini Protokoll’s ‘Staat 1-4’ at Neues Museum and HKW”, Berlin Art Link, 9 mars 2018, accessible à l’URL : https://www.rimini-protokoll.de/website/en/text/rimini-protokoll-s-staat-1-4-at-neues-museum-and-hkw


[9] Slavoj Zizek, The Parallax View, 2006, Massachusetts Institute of Technology, p. 17., voir : https://www.observatoirecritique.fr/publications/speculative-documentary-europe-in-exile-as-imagined-by-thomas-bellinck

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