Un dimanche de mai, j'ouvre la porte de l’appartement à Ménilmontant, la maison de Caroline Gleize qui est aussi le quartier général de la compagnie de théâtre franco-argentine, El Vaïvén (vaivén en espagnol, va-et-vient en français). Je suis accueillie par la locataire et par Astrid Albiso, comédienne et l’autre femme à la tête de la compagnie. Je viens pour faire cet entretien à ces deux directrices pour avoir un témoignage des personnes qui travaillent avec passion et dédication pour et avec le théâtre, parfois dans l’ombre, parfois dans la lumière. Pour avoir leur point de vue et ressenties sur le théâtre en temps de Covid-19 et confinement, dans un angle professionnel et personnel, car le théâtre c’est aussi une affaire intime.
Caroline et Astrid ont créé la compagnie El Vaïvén en 2016 pour l’amour au théâtre, pour bien mener des projets qui leur ressemblent et pour l'expérimentation artistique. Elle est dénommée franco-argentine parce qu' elles tiennent à tisser des liens entre la France et l'Argentine et l’Amérique Latine. Mais maintenant leur défi c’est de construire des ponts avec n’importe quel ailleurs, où ils se trouvent des opportunités et possibilités.
«Comment faire cohabiter la réflexion sur ce qui nous entoure, la magie du spectacle, le partage de nos intimités et le rire qui nous propulse vers un horizon d’attente? C'est le spectateur qui donne un sens à cette interrogation et crée des liens entre l'univers imaginaire que nous proposons comme artistes et le monde dans lequel nous vivons. Ce monde dans lequel nous vivons tous, ensemble, chaque jour.» Astrid et Caroline.
Qu’est-ce que vous avez pensé quand il y a eu les annonces de premier confinement ? Quels étaient vos ressentis dans ce moment si particulier ?
Caroline- On était ensemble ( avec Astrid )
Astrid- Nous, en tout cas, on était avec deux spectacles. Les Innommables, qui s’est passé au Court-Circuit, un bar dans le XXème (arrondissement) à Paris et en même temps il y avait Mon fils marche juste un peu plus lentement d’Ivor Martinic à la Manufacture des Abbesses, dont c’était un projet du théâtre, on va dire, dans des conditions plus classiques du spectacles avec 9 comédiens sur scène, avec tout ce qu’on avait préparé en amont pour la communication, pour la diffusion, la production...Et on venait de démarrer pour 24 dates, le 1er mars. Donc le confinement tombe quand, au niveau professionnel, niveau compagnie, on a deux projets qui sont là, qu’on avait décidé de jouer, qui pouvaient se nourrir de l’un de l’autre qui tombent dans l’eau. Il faut s'arrêter d’un jour à l’autre...Avec tout ce travail qu’on avait fait en amont….Voilà... On ne sait rien.…
C- C’est dur. Je pense que quand c'était arrivé, à l'énorme déception et tout, on a vraiment tous cru qu’en six semaines tout sera réglé. Pour moi il y avait quelque chose de dur, on est tous fermés, il y a tout qui tombe à l’eau, mais tu te dit “bon ça tombe à l’eau mais dans six semaines on reprend ou on récupère ce qu’on a perdu”.
Donc il y avait ce sentiment d’espoir…
C- Voilà, résigne à être enfermée pendant six semaines pas en se disant que tout allait être arrêté pendant un an…
A- En même temps, je pense qu’il y avait quelque chose d’unique. On n'avait jamais vécu cette situation, ni en Argentine ni vous ici en France. C’est aussi d’être en communication avec les comédiens. Par exemple, dans Mon fils… il y avait un comédien catalan qui me disait «Astrid il faut prendre une décision parce que la Catalogne est en train de fermer ses frontières, donc je dois partir là à tout de suite». Mais en ce moment on n’avait pas encore annulé le spectacle, on n’avait pas encore les annonces de Macron. Mais il fallait prendre une décision pour que lui il ne reste pas à Paris bloqué, sans pouvoir rentrer chez lui. Après on avait aussi dans ce spectacle, une comédienne, Maria Verdi, de 80 ans. Et avec le peu d'informations qu’on avait de cette maladie, de ce virus, aller jouer avec une comédienne de cet âge.... Car on savait quand même que ça attaquait surtout les gens plus âgés, c’est un risque qu'on ne voulait pas prendre. Donc du coup, évidemment, on a dit «on annule». Même avant que Macron fasse l’annonce du confinement. On s’est dit qu’on ne pouvait pas mettre en danger les gens qui travaillent pour nous, notamment les gens plus fragiles….C’était un bordel. Dans ce dernier week-end le gros bordel c’étaient les appels, «oui, il faut faire ça», «il faut pas que le théâtre ne demande pas des choses »....C'était une méfiance, mais moi je tenais à dire «ok non, on se fait confiance entre nous, on fait confiance au théâtre». Parce que c’est quelque chose...même quand on a regardé les contrats qu’on avait signé ça ne parle pas de pandémie et “force majeure” c’est un terme légal qui est assez…
C- Flou.
A- Oui flou, dans les assurances et tout. Et donc du coup, oui, tu te sens un peu perdu. Il y a beaucoup aussi dans l'émotion qui peut porter aussi une pandémie, de sentir qu’il y a une maladie...donc tu peux être très vite portée par l'émotion. Mais tu essaies quand même de prendre des décisions, de faire attention...tant qu’on sait pas on essaye de faire attention aux gens.
C- Oui, c’est ça. Après le projet Les Innommables, c'était un projet non officiel, il n'y avait pas vraiment de production. C’est juste la déception de ne pas aller au bout du deuxième cycle. Ce deuxième projet est plus maniable. Voilà, au bout de six semaines tu te dis que le bar tu le récupères, car ce n'est pas une programmation fixe….
Avez vous mis en place des dispositifs, dans le professionnel et le personnel, pour surmonter cette période de confinement et Covid ?
A- Moi, je pense qu’il y a deux choses. Personnellement ça m’a accablé quand même toute cette histoire d’être toute seule dans mon appartement. Je pense qu’on avait tous ça en commun, en tout cas dans le premier confinement en mars, de s’appeler tout le temps, à tout le monde. On savait qui était le plus fragile, à cause de la colère, d’une maladie, de la…
C- Situation affective.
A- Et tout, et on essaient de se faire compagnie, de s’appeler, de se dire “ça va?” tous les jours, quoi. «Il faut que j'appelle», «il faut que je sois là». Et on sentait aussi que les autres venaient vers nous, «alors, ça va?» «oui, t'inquiète pas, moi je suis bien». Hahaha. C’était super quand même. Et appeler les gens que peut-être ça faisait très longtemps qu’on n'avait pas contacté, mais qu'on savait qu’ils pourraient se retrouver dans une situation de solitude.
C- Et aussi nous, qu’on se sentait un petit peu dépassées en étant seules on appelait des amis qu’on avait pas vu depuis longtemps, aussi. Ça va dans les deux sens…
A- Après par rapport au côté artistique je pense que en tout cas on a fait certaines choses mais tout suite on s’est mis d’accord avec Caro, on était sur la même longueur d’ondes, qu'on ne voulait pas non plus se mettre une pression de…
C- D’être obligées de produire dans cette période.
A- Voilà, d’être plus créatives. Il y avait un côté où tout de suite dans les réseaux sociaux te demandaient d’être créatif, car c’est le moment de l’être ! Tout le monde se montrait sur Instagram, Youtube...Tout le monde montrait des petites choses, et la plupart n’étaient pas drôles, pas non plus avec réflexion. C’était juste dans l'émotion et dans l’instantané. Nous, on ne voulait pas faire ça. Après on est resté en contact avec l'auteur de monologues avec qui on a travaillé...
C- Dans le moins officiel de nos projets (Les Innommables).
A- C’est vrai que pour notre côté de compagnie franco-argentine, moi je suis argentine, il y a toujours un regard sur l’Argentine où les politiques et les économies culturelles ne sont pas les mêmes qu' ici en France. Il n’y a pas les mêmes aides et il n’y a pas le même système économique culturel comme l’intermittence, alors qu’ici tout est plus cadré, il y a plus de subventions de l'État, des régions, de la mairie. Et donc du coup, là bas les artistes travaillent en noir, font de cours aussi à côté et ils font du théâtre independant. Mais on a pas de théâtre indépendant riche, c’est le théâtre off qui n’a pas des subventions et que c’est pas le même que le théâtre privé ici en France. Bref, c’est compliqué. Si tu ne joues pas, tu n'as pas de recettes, tu n’as pas une billetterie, tu n’as pas d’argent. Donc je comprends très bien les démarches pour utiliser ces moyens de communication comme Zoom pour faire des choses. D’ailleurs j’ai participé comme spectatrice à une pièce de théâtre argentine via Zoom. Il y avait même un chapeau virtuel, pour collaborer. Je trouve que c’est très bien. Mais en tout cas c’est un modèle, que pour nous avec Caro, on n’a pas considéré.
C- J’ai pas un grand rapport avec les réseaux sociaux, ni le digital déjà dans ma vie. Avec le groupe des monologues (Les Innommables) il y avait 13 personnes, et on avait entre 10 personnes connectées (tous les jeudis pendant le premier confinement sur la plateforme Zoom), les personnes se connectaient volontiers. Il y avait ceux qui avaient vraiment envie de donner, ceux qui étaient à la traîne, ceux qui souffraient un peu de la situation. Et ça m'a rendue pas forcément heureuse…le screen...
A- En tout cas, je pense aussi que c’est une question de comment chacun vit cette situation assez inédite. Mais il n'y avait aucune pression dans nos rendez-vous de jeudi. Si vous voulez on fait apéro ou on fait un atelier en live avec le metteur en scène et auteur Anibal Gulluni (qui réside en Argentine) Mais sans pression, ceux qui veulent participer, participent. Il n'y avait pas une démarche de «Il faut faire !». Après nous, à côté on a écrit des choses avec Florent (Mousset) qui est aussi un des comédiens de la compagnie, mais c’était vraiment en mode amitié. On a écrit parce qu' on avait envie de le faire.
C’était plus pour rigoler, pour passer le temps...
C- Et un peu le sentiment un petit peu dépressif de si le monde s'écroule, pourquoi se mettre une pression sur la création ? Si t’as envie de créer quelque chose...C’est comme dit Astrid, si tu trouves quelqu’un qui est exactement sur la même longueur d' ondes...Parce que dans ce cas là c'était quelque chose d’assez doux. C’était une écriture collective, on s'envoyait un mail mais on était pas obligé de répondre dès lendemain. Chacun peut suivre son rythme sur cette période là…(longue pause) Après, récupérer les rênes d’un projet collectif à distance où tu ne sais jamais dans quel état est la personne que tu rencontres...Bah, moi j’avais pas l’énergie…
A- Ce que nous renvoie Zoom c’est les écrans, plus reliés à l’audiovisuel, au cinéma… Mais le côté théâtral, où tu joues dans un espace que c’est pas chez toi...Le théâtre c'est du live, il y a un rapport avec le public. Et il fallait assumer que pendant quelques semaines, voire quelques mois, on n’allait pas l’avoir. Est-ce que c’est la fin du monde ? Non. On peut faire d’autre chose, on peut penser à nous. En tout cas, moi je l’ai vécu comme ça. C’était... Bon, là, j’aurais pas du théâtre pur et net comme moi je le considère et comme nous deux, je crois, on le considère aussi. Le rapport avec le public.
Pour vous, donc le théâtre virtuel ce n’est pas vraiment du théâtre ?
C- Je vais dire un “je” mais qui peut être un “entre nous”. En tout cas, c’est pas la raison pour laquelle je fais du théâtre.
A- Oui, voilà !
C- On a d' autres formes d’art pour produire ou créer des images, en réel ou enregistrées. C’est qui est beau dans le théâtre c’est les fois où tu réunisses des gens, le projet commence à se construire sur les énergies, les espaces….Le virtuel c’est une autre forme d’art qui est ni le cinéma ni le théâtre.
Est-ce que vous trouvez que les masques peuvent changer le rapport spectateur.rice.s et les artistes sur scène ? Le masque devient une contrainte dans l'expérience théâtrale ?
C- Moi je ne l'ai pas vécu. Je suis allée au théâtre quand ça a rouvert, le petit interstice de l’été. En tant que spectatrice, bah tu penses plus au fait d’avoir le masque une fois le spectacle commencé.
A- Moi je pense que ça change. C’est assez nouveau tout ça et j’ai pas envie de m’habituer à tout ça. L’autre jour je suis allée à une répétition dans un très beau théâtre à Paris, un théâtre qui peut héberger 1200 personnes mais on était que 40. Oui, c’était qu' une répétition générale mais surtout pour les conditions sanitaires on ne pouvait pas être plus. Avant tout ça, ça ne m'est jamais arrivée d’utiliser un masque dans la rue, tu n’avais pas l’habitude de te promener avec ça. Sauf si t’es malade ou t’es à l'hôpital. Moi je ne veux pas m’habituer à ça. Là c’est une condition qu’il faut accepter mais je n’en ai ai pas envie. Et effectivement dans un théâtre il y a quelque chose qui change, on entend moins, on est plus timides de faire du bruit, de rigoler. Parce que bon, t’as un masque et de tout façon il ne faut pas postillonner ! Haha.
Aussi quand on est sur scène, voir les spectateur.ice.s avec des masques…
A- Oui, sûrement mais je n'ai pas encore vécu ça. (En tant que comédienne sur scène).
C- Oui, je crois que c’est plus gênant de voir un public en face de toi moitié masqué.
A- Oui, même si on peut exprimer pas mal de choses avec les yeux, on enlève une moitié du visage qui exprime soit un sourire, soit une grimace…
C- Moi, bizarrement je pense que l'énergie se diffuse au-delà de la vision du visage. Il y a les yeux mais si t’es comédien tu voit rarement les expressions des yeux de chaque spectateur. Mais ça ne nuit pas l'émotion collective qui peut se dégager. Je crois que tu reçois cette énergie que ce n’est pas que le rire ou un sourire ou un regard bienveillant. Je suis pas sûre que le masque la brime tant que ça. Il ne faut pas non plus que ça devienne une habitude.
A- Aussi il y a que le masque, aussi il y a la distanciation. Il y a beaucoup de contraintes, le masque qu’on n’a pas envie de garder tout le temps, on respire pas bien mais aussi il y a tout ce protocole sanitaire… après tu oublies, évidemment si c’est un bon spectacle on oublie assez vite ! Mais encore une fois, je n’ai pas envie de m'y habituer.
C- Il y a aussi ce sentiment d’injustice. Tu ne peux pas aller au théâtre mais tu prends un train qui est bondé. Tout le monde a le masque, mais c’est bondé.
A- Pendant des heures parfois. Plus long qu' un spectacle.
C- Et tu te dis pourquoi ? Elle est où la différence ?
Pour vous, c’est possible d’envisager un protocole sanitaire, des gestes barrières par exemple, sur le plateau ?
C- Non ! Non!
A- Non ! J'espère pas !
C- Haha Non ! Si t’es comédien tu prends des risques ! (Rire)
A- Haha. Après c’est un délire de faire une création avec les gestes barrières. Peut-être oui pour se moquer ou faire une parodie. Mais si au théâtre, au cinéma on joue avec les gestes barrières….Non non, en plus avec le masque, non. Surtout que le théâtre crée des univers, qui sont différents, qu’on vit et on voit en dehors de la réalité. Et c’est ça qui est intéressant. Si c’est pour faire une copie d’un univers qui existe déjà, qu'en plus on n’aime pas, et on est en train de le voir avec des contraintes physiques...Et je pense qu’on s’est rendu compte à quel point c’est difficile ces contraintes de distanciation. On a tous une relation de distance avec les gens. Et aujourd’hui c’est devenu étrange, imposé et ce n'est pas naturel.
C- Un comédien peut recevoir une énergie collective d’un public même si on ne voit pas le bas de visage. Mais dans l’autre sens...Bien sûr que, on parle du masque sanitaire, car par exemple dans la Commedia dell’arte le masque c’est autre chose, c’est un genre en soi...
Oui, évidemment. Ici le masque a déjà une symbologie très précise, la maladie, le covid, qui nous renvoie à notre réalité.
A- Aussi les distances dans le théâtre sont des conventions, qui ne sont pas du tout naturelles. Ce sont des questions artistiques, esthétiques, de tensions de l’espace. On n' éloigne pas des personnes sur le plateau parce qu' il y a un virus, on éloigne des personnes dans un espace pour créer la tension entre les personnages.
C- Haha. On ne va plus rien comprendre. Le metteur en scène a mis cette distance pour exacerber la tension du personnage ou pour le virus ?
Si vous avez l’opportunité, vous reprendrez le projet Les Innommables dans un bar ? Théâtre et bar, tous les deux maudits pour la crise sanitaire.
C- Si on imagine de le reprendre, oui avec plaisir. Parce que ce qu’on avait découvert en faisant ces monologues, surtout le premier cycle, c’est que le spectateur prend plaisir à avoir ce théâtre de proximité dans des bars, dans des lieux non-conventionnels.
Les public sera ravie alors de retrouver ce genre de propositions
A- Je pense que dès que c'est possible, oui les gens ils vont être content de pouvoir retrouver, au théâtre et au cinéma, mais aussi dans les bars avec du théâtre. Et aussi avec de la musique (en live). Ce n'est pas la même chose de voir un spectacle dans une grande salle que dans un bar. Même pour les comédiens il y a une approche unique, après la représentation se mettre à discuter avec son public. Et nous on tient beaucoup à tout ça, l’approche avec le public.
C- Les gens vont revenir. Même si les gens sont fatigués de la vie locale, parce que on nous restreint les espaces de déplacements de façon variable et on nous a poussé à rester dans nos quartier. Et malgré tout cette année confinée de covid, je pense que les bars de quartier si reprennent en plus avec une offre culturelle, soit de musique, théâtre, récit, compte, les gens peut-être réapprend à vivre plus dans leur quartier. Ça peut aussi changer le public, mais aussi c’est agréable de pas bouger, peut-être c’est la paresse. Mais aussi c’est agréable de ne pas être obligé d' aller à l'autre bout de Paris.
On parle beaucoup du «monde d'après», qu’il faut se préparer pour «l'après». Surtout dans le théâtre . Mais ça veut dire quoi ? Le théâtre va-t-il radicalement changer ?
A- Effectivement en niveau de production la pandémie peut te faire réfléchir à certaines choses. Prendre certaines précautions. Mais je ne pense pas que le théâtre va changer. Les thématiques ne vont pas changer, elles vont être des thématiques sociales, politiques ou des thématiques “universelles” ou de grands classiques, comme toujours. Mais en ce moment on a une question qu' avant on ne se posait pas. «Et si ça arrive ? Encore une fois ? ». En tout cas aujourd’hui on n’est pas encore sorti de cette pandémie et à l’heure de programmer un projet on se demande s’il faut annuler, car c’est pour la rentrée et peut-être à nouveau les cas de virus augmenteront.
C- Tu parles d’un après assez immédiat. Je ne sais pas si ça va changer la perspective. Oui, on va toujours avoir la crainte que ça se reproduise. Mais après dans le théâtre en France on a cette «magie», suite aux annulations de dates dues au Covid, on a touché de l’argent quand même. En revanche, j'ai eu une discussion avec une amie, elle parlait du festival d’Avignon. Elle se demandait s’il allait pas se modifier. Parce qu' ils essayent de maintenir un Avignon avec 45 minutes d’intervalle entre chaque pièce pour aérer les salles, les théâtres ne peuvent pas vendre la location à plus de 25 compagnies. Elle, mon amie, se demandait s’ils arrivaient à se rendre compte après cette année, si s’en sortaient financièrement, que ça ne pourrait pas rendre le rapport du Festival d’Avignon un peu plus accessible ? Parce que c’est quand même monstrueux le Festival d’Avignon. Tu y vas, tu investis l’argent, tu as une œuvre mais il y a trop de spectacles, les salles en profitent pour faire un maximum d'argent...
A- Oui, ça porte toujours sur les questions de l’organisation et de la production. Mais par rapport à l’essence du théâtre, comme on le connaît aujourd’hui, comme il est depuis le Vème siècle avant JC, haha. Il s’est pas mal adapté dans le temps. Mais l’essence ne va pas changer.
C- Le théâtre s’adapte oui. Mais il se passe par quoi ? Par le corps, on aura toujours du corps.
Imaginez une utopie...
C- Une utopie ? Un monde où l' on ne sera pas préoccupé, pas trop préoccupé à cause du futur. On vivrait pleinement le moment présent. Juste reprend confiance à ce qu’on crée dans le présent. Les gens sont créatifs quand même. Un enthousiasme plus….despreocupado.
A- Ce qui nous a fait la pandémie, que c’est sympathique mais on va vite le perdre à nouveau malheureusement, c’est de créer plus des réseaux solidaires entre les compagnies et les artistes. Pas seulement dans le théâtre, mais aussi dans un sens plus large. Par exemple l'entraide entre voisins. Est-ce que ça est resté ? J’ai l’impression que non. Donc mon utopie c’est peut-être ça, de garder ce côté plus humaniste, l'entraide. En même temps dans cette pandémie il y avait un côté global mais très individualiste aussi. Comment la vit chacun, comme chacun s’enferme dans sa maison, comme on est seul aussi. C’était cette…
C- Paradoxe.
A- Oui. Il y a eu beaucoup de mouvements solidaires. Mais ça commence à s'arrêter, je fais partie aussi, j'arrête aussi d’appeler les gens, de poser des questions. On revient petit à petit à la vie "normale".
C- Peut-être parce que on n’a pas le temps. Pourquoi on a appelé les gens ? Parce qu' on s’est retrouvé avec beaucoup de temps.
A- On y pense. Mais on ne le fait pas. Je ne pense pas que ce soit une question de temps.
C- Je pense quand même qu’il y a une disponibilité face au temps, plus que de temps. Parce que dans une vie normale, si je rentre chez moi à 8 heures, il est tôt. Parfois je suis tellement fatiguée que je vais pas appeler mon père parce que ça va durer une heure, et j’ai pas le courage. C’est terrible à dire ! Oui, c’est une disponibilité au temps. Alors qu' avec la pandémie, tu prends le téléphone et tu t’es dis que si ça dure une heure et demi, ça va aller.
Comment se prépare la compagnie pour cette année ?
A- Déjà on participe au concours au Théâtre 13 Prix/Jeunes Metteurs en scène, on est sélectionné pour la finale qui se déroule en juin, avec la pièce 1000 eyes de Mazlum Nergiz, mise en scène par Juan Miranda.
C- On a eu la confirmation que ça allait bien avoir lieu il y a une semaine.
A- Donc du coup on prépare ça. Et pour 2021-2022....Je pense que peut-être c’est aussi à cause de la pandémie ou parce qu' avec Caro on a créé la compagnie il y a 4 ans, donc aussi il y a des expériences dont la pandémie et comment on s’adapte et comment on grandit avec tout ça. En tout cas on a envie de changer notre façon de produire, de créer, même si ça prend un peu plus de temps. C’est ce qu’on dit après on verra si on le fait (Rires). Mais bon, c’est essayer de rentrer dans quelque chose qui puisse créer un cadre, pas professionnel parce qu' on l’est déjà, mais qui puisse donner les meilleures conditions de travail pour tout le monde
C- Jamais avoir le sentiment d’avoir mis beaucoup d'énergie, beaucoup de travail dans quelque chose qu’on peut plus porter. Si on fait que créer sans se mettre en questions certaines choses, après on se retrouve avec un projet tout fait mais trop lourd et clac ! Il nous tombe de bras et ça c’est tellement triste. Frustrant.
A- Oui. C’est plutôt savoir mieux anticiper pour qu'après on puisse s'éclater de belles choses, des choses qui nous portent, qui nous représentent, qui nous font marrer, émouvoir.
Ines DUTOUR et Jalene MBOMBA MELIA
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