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Réflexions sur les formes théâtrales alternatives adaptées à la crise sanitaire

Updated: Jun 17, 2021

En cette période sans précédent créée par la pandémie de la Covid-19, et face à l'incertitude de l'avenir du théâtre, nous avons commencé à nous demander comment la pratique théâtrale, en ce moment, répond ou pourrait répondre aux besoins de rencontre, d'échange et de l'être ensemble.


Au cours de cette réflexion, nous avons recherché quelles formes théâtrales alternatives ont été créées (avant et pendant la pandémie) qui sont encore peu visibles, mais adaptées aux nouvelles règles sanitaires, principalement la distanciation sociale.


Nous avons découvert plusieurs œuvres développées par des compagnies de spectacle vivant, parmi lesquelles la compagnie de danse japonaise Moonlight Mobile Theater, qui pour son dernier spectacle a placé le public, assis sur des tabourets, dans des sortes de parloirs séparés autour de la scène, chacun ayant sa propre porte et ses propres fentes, à travers lesquelles il peut observer les danseurs.


On a aussi trouvé la compagnie allemande Le Deutsches Theater qui a présenté sa dernière œuvre dans un parking où chaque spectateur regarde le spectacle dans sa propre voiture.


Ou encore, il y a le Festival International de Théâtre à Buenos Aires avec des représentations en plein air. D'ailleurs, dans ce festival a été présenté le spectacle Comizi d’amore, une des productions du groupe italien Kepler-452, qui a également exploré des moyens de maintenir la rencontre avec le public pendant la pandémie. Pour cette représentation, il a été développé un nouveau dispositif théâtral de pandémie dont le concept architectural-spatial était conçu par le scénographe italien Emanuele Sinisi. À savoir, un espace délimité par un cercle de machines (occupées par les spectateurs) qui éclairent les artistes avec leurs lumières, générant une scène à 360 degrés.


Nous trouvons également des spectacles réalisés dans des vitrines de magasins, dans la nature, mais aussi, pour un seul spectateur. Il existe d'innombrables dispositifs créés pour maintenir la possibilité de se rencontrer dans un moment aussi délicat que celui que nous vivons, comme les œuvres développées par la compagnie de théâtre GKCollective, créée en 2009.


Le groupe compte à ce jour quinze créations, dont huit sont destinées pour un seul spectateur, et sept sont pour plusieurs spectateurs. Parmi ces derniers, trois se singularisent par des dispositifs sans présence d'acteurs. Également, la compagnie propose un spectacle pour enfants entre fiction et réalité et deux autres en espace naturel.


Sur le site web du groupe https://gkcollective.org/, l'un des dispositifs mentionnés est le « Théâtre Caché », et, dans la dernière phrase du flyer de la première expérience du groupe avec ce dispositif, c’était écrit: Et si ça vous plaît, gardez le secret.

Il a ainsi été question d’une diffusion particulière : des flyers de divulgation étaient cachés au hasard dans des boîtes de camembert, dans des supermarchés, et il n'y avait qu'un seul numéro de téléphone pour effectuer la réservation. Et c'est précisément cette expérience qui a induit un autre dispositif du groupe "le théâtre pour un seul spectateur" développé en 2011.


Avec ce dispositif, le groupe a mis en scène quelques œuvres, parmi lesquelles Urgence en décembre 2020, élaborée avec des urgentistes. C’est un spectacle immersif avec six acteurs et un seul spectateur. La situation proposée est que le spectateur a rendez-vous dans un hôpital pour être réanimé après une crise cardiaque. Voici l’incitation faite par le groupe dans la promotion du spectacle : Vous êtes victime d’un arrêt cardiaque ? Ne vous inquiétez pas, vous êtes entre de bonnes mains. Une nouvelle vie est possible tous les jours.


Ce format semblait répondre à l'une des principales préoccupations du groupe. Comment ne pas devenir un produit, comment ne pas être quelque-chose de consommable et comment ne pas contribuer à la déconnexion avec soi-même ?

Des questions qui trouvent un écho dans le travail d'autres artistes : Que faire pour ne pas fonctionnaliser le théâtre ? ne pas l'attribuer à l'injonction d'être utile ?


Après tout, ce n'est pas cette place que le théâtre devrait occuper dans la société, même si dans de nombreux pays, et notamment ici en France, c'est celle qu'il occupe actuellement, comme le souligne Olivier Neveux dans son livre Contre le théâtre politique, puisque le théâtre s'est vu déléguer la fonction de résoudre les problèmes sociaux : « Le théâtre qui éduque, civilise, répare, engage, rassemble… Il s’agit là, actualisée, de la reprise d’une vieille antienne sur le rôle social du théâtre à diffuser les bonnes mœurs et qui sert de longue date à justifier du bien fondé des subventions théâtrales. »¹.


La conséquence et le danger de ce déplacement des fonctions du théâtre sont qu'il arrête d'être au service de l'art ou de la création, et ainsi que les artistes cessent de créer pour laisser la place à la production de quelque-chose d'utile au système qui le finance.

Lors de la conférence Les formes de réparation dans les arts de la scène à l'épreuve de la Covid-19, organisée par l'Université Paris VIII, tenue le 25/02/2021, l'un des membres, et cofondatrice de GKCollective, Gabriella Cserháti, a déclaré que tous les travaux développés par le groupe jusqu'à présent ont toujours été une tentative de résister au système, mais que curieusement les dispositifs qui avant semblaient révolutionnaires, avec la COVID-19 deviennent les seuls moyens possibles de faire du théâtre pendant la crise. Eux, qui avaient toujours nagé à contre-courant, se sont retrouvés emportés par le courant.


Il est important de préciser que le travail de recherche développé par le groupe, qui a débuté il y a plus de dix ans, ne soit pas apparu comme une réponse à la crise provoquée par la pandémie.


La réflexion de l'actrice a soulevé d'autres questions : Dans le monde de l'information dans lequel nous vivons aujourd'hui où tout est déjà donné, où il n'y a pas de place pour le conflit, la dissidence ou la remise en question, que peut-on faire pour que le théâtre ne fonctionne pas dans la même logique ? Que faut-il faire pour que les créations ne deviennent pas un produit du système ?


Ce raisonnement m'a ramenée à l'idée de contre-information de Deleuze. Quand on génère de l'information, on enlève l'espace du conflit et la possibilité de s'interroger, et donc, le théâtre devrait fonctionner dans une autre logique, celle de la contre-information.


Olivier Neveux nous invite à penser le « contre » plus radicalement encore, non plus comme ce qui vient contredire l’information dominante, mais comme ce qui indiquerait son « contraire ».


Il expose dans son livre Contre le théâtre politique que le contraire de l'information ne signifie pas la désinformation. La contre-information est essentielle parce qu'elle produit un dépassement des conditions de l'information, parce qu'elle fait appel à une autre logique, à d'autres outils. "Le contraire de l'information, ce serait ce qui lui résiste, ce qui porte ombrage à son impérialisme, le champ magnétique qui la tient à distance et qui permet alors de concevoir une politique délestée du souci d'informer "².



Avoir une idée n'est pas dans la nature de la communication.


Le monde du théâtre doit être créé par le théâtre et ce n'est pas le même monde que celui de l'information, sinon, ce qui est propre à l'art se fait au détriment d'autres urgences/demandes qui ne sont pas du théâtre.


À la fin de son discours, Gabriella Cserháti, encore dans la conférence susmentionnée a insisté sur le fait que, pour que son art ne devienne pas un produit, il est peut-être temps de se réinventer et de trouver de nouvelles façons de faire du théâtre.


Que faire pour sortir de cette logique imposée par l'État où les artistes doivent justifier leurs œuvres respectives et prouver qu'elles sont utiles ?


Résistez !


Paraphrasant Deleuze "L'acte de résistance a deux visages. C'est humain et c'est aussi un acte artistique. Seul l'acte de résistance résiste à la mort, que ce soit sous la forme d'une œuvre d'art ou sous la forme d'une lutte entre les hommes."³.


Et finalement, que serait un art résistant ?


Daniela Miranda

¹ Olivier Neveux, Contre le théâtre politique, La Fabrique, p. 61.

² Ibid. p. 143

³ Gilles Deleuze, Qu’est-ce que l’acte de création ?, (page consultée le 24 mai 2021) https://www.webdeleuze.com/textes/134


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